Ressac (extrait)
Vidéo (extrait, 10 minutes) :
http://www.youtube.com/watch?v=P6ov...
Calais.
L’hôtel Bel Azur fait façade à la mer.
La mouette effrontée salue les migrants.
Hommes sans rien d’autres que la vie.
Hommes-chiens comme l’oiseau du jour.
Hommes-oiseaux qui des heures durant tournent en rond.
S’arrêter est un défi.
Se faire arrêter puis s’échapper aussi.
Sans le voyage, le temps passe c’est tout.
Comprenne qui pourra.
Calais.
Les migrateurs forment une espèce coriace, envahissante, trissante.
Tête basse contre la pluie et le vent, leurs pattes poussent des petits cris.
Il pleut sur la mer.
Tous les jours il pleut.
Tous les jours un jour.
Toutes les nuits.
Toutes les nuits, les migrants tentent le tunnel sombre d’une illusion ensommeillée.
Terre promise : l’Angleterre.
Rêve : exister.
Perspective : réfugié.
État : harassé.
Peur : dériver.
Circulation dangereuse.
Les oiseaux les oiseaux.
Les oiseaux, les incultivés.
Parlent avec des petits mots atchipetchipetchip a tchip.
Ils veulent manger le riz, aider les cultivés.
Ils veulent s’envoler, passer et laisser la trace du vent.
Calais.
La mouette vole le pain du garçon.
Vol à l’arraché d’un revers de vent.
Le garçon est une armée désarmée.
Un trait sur la mer.
Une route longue et luisante.
Nasrat Shirzad ne sait pas.
Demain non plus il ne sait pas.
L’avenir est une mouette grise et bavarde qui parle de partir... de partir...
de partir à tire d’aile.
Calais.
Les talons des filles claquent.
Un chien boit dans une flaque.
Nulle braise dans cette larme.
Nasrat Shirzad regarde.
Nasrat Shirzad l’Hazarat se regarde.
Le tain du miroir est de cendre.
La vie pour apprendre.
Apprendre à laisser.
Laisser le prisme d’une larme.
Et prendre la vague à l’âme.
Ressac.
Circulation dangereuse.
Les oiseaux.
Parlent avec des petits mots atchipetchipetchip a tchip.
Ils veulent s’envoler, passer.
En Afghanistan, Nasrat Shirzad laisse sa chèvre,
nuage d’orage et cornes noires.
Il garde la douceur du pelage.
Au Pakistan, il laisse ses parents disloqués par la bombe
et garde le souffle de la mort.
En Iran, il troque ses 16 ans contre la carte du ciel.
En Syrie, l’avenir en bandoulière, l’armoire pleine de sève, il oublie sa peine.
Puis il laisse la Turquie et prend la mer.
Frêle carcasse dans la vague braillante.
À minuit, avec d’autres et sans rien d’autre que lui, il est bousculé par-dessus crêtes et creux.
La mort engloutit.
Nasrat Shirzad renifle.
Touche du nez la vie que ses doigts n’attrapent pas.
Il ne sait plus sa gauche. Ni sa droite non plus.
Il sauve sa vie et garde la peur des frontières qui bouchent le monde,
il échoue en Grèce.
Il part en Italie, accroché aux essieux d’un camion.
Vitesse de propulsion inimaginable.
20 heures la roue tourne.
20 heures les roues, 20 heures la route.
20 heures à ne pas voir.
Marathon pour l’espoir : liberté, égalité, fraternité.
Nasrat Shirzad franchit le son des mots.
Saveur retrouvée.
Il avance, avance, avance
Il n’a nulle part où aller. Il y va.
Calais.
L’eldorado au bout du nez.
Nez à fleur de flaques.
Tête et épaules enroulées.
Centre de gravité entre les genoux.
Chaque nuit.
Tout bascule en roulade maléfique.
Tout.
No chance.
Go away, ils disent.
Ne reste pas ici et ne reviens pas demain.
On t’arrête tu reviens.
Tu reviens on t’arrête.
Ressac.
No trip last night.
No trip last night.
Ressac.
Ressac.
Pourtant une nuit, accroché aux essieux d’un camion,
peur au ventre et ventre vide,
sans papier ni argent,
Nasrat Shirzad, Hazarat, 19 ans,
s’envolera.
Son corps n’oubliera pas...
la sensation.
Circulation dangereuse.
Les oiseaux, les oiseaux.
Les dragons du vieux monde sont des veaux à côté.
Atchipetchipetchip a tchip.
Ils s’envolent.
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Les espaces inquiets
galerie l'Oujopo, Lyon - 25 octobre au 10 novembre 2012
exposition personnelle
Curcubéo
Lolo, portocalio, galbeno, zeleno, albrastro, lilao, mov
ROUGE, ORANGE, JAUNE, VERT, BLEU, INDIGO, VIOLET
La fille détonne dans le refrain gris...
Dansent jupe et tablier à la palette irisée.
Barbaketzo ou katrintsa sont des papillons qui battent des ailes.
La fille chantonne dans le refrain gris.
Hier elle s’est mariée.
Dans l’effervescence de la fête, aux yeux de cents témoins
elle s’est métamorphosée vénéneuse.
Elle a donné son mij, son sexe, pour la première fois à un homme.
Désormais consacrée spurçata, souillée, elle a pris le pouvoir.
Force impure, puissance fatale,
spurçata, souillée, sa jupe a viré maléfique.
Son tablier cuirasse le mauvais sort.
ROUGE, ORANGE, JAUNE, VERT, BLEU, INDIGO, VIOLET
La fille avance sur un arc-en-ciel.
La fille serre contre son ventre une poule aux plumes de feu.
La bombance, volute fauve, s’enroule contre le tablier,
tablier protecteur de la jupe spurçata.
La fille contient la poule, voluptueuse poule rousse
qui ondule dans le camouflage des couleurs du tablier.
La poule ne doit pas effleurer la jupe.
Ne doit pas être contaminée.
Ne doit pas être spurçata.
La nourriture doit être pure.
Absolue.
ROUGE, ORANGE, JAUNE, VERT, BLEU, INDIGO, VIOLET
La fille avance sur l’arc-en-ciel.
Une fille ça marche, ça marche bien, ça marche même drôlement bien.
Espace illimité
Ciel et poussière
Anges
Champs
Perspective perdue
Vie
Traces
Chiens
Dans la symphonie de Talposh en Roumanie,
maisons harmoniques sur refrain gris.
Orange la baraque de la fille.
Orange aux parois ventrues de terre séchée,
la baraque boursouflée s’avale en prémonition de l’effondrement.
La fille embrasse l’arc-en-ciel.
Éclatant.
Soudain.
Et avec du soleil plein les mandibules, la fille aplatit la poule au sol.
Lui tranche le cou.
La cocotte tire sur ses nerfs et danse de tout son corps
dans l’énergie rougeoyante d’un geyser carmin.
À côté, inerte, la tête repose dans un boa de feu.
Et la jupe de la fille frôle cette nature-morte.
La contamine.
Spurçata la tête de la poule.
Avalée par la gueule du chien, la tête de la poule.
Il pleut à Talposh.
Brisedo.
Silence et solitude ont leur orchestre.
ROUGE, ORANGE, JAUNE, VERT, BLEU, INDIGO, VIOLET
Lolo, portocalio, galbeno, zeleno, albrastro, lilao, mov.
Au sol, une flaque cornaline.
l’arc-en-ciel s’incline.
© Loutre-Barbier
Un homme et une armoire
(Au fond de l’armoire de famille, une bouse, précieuse,
séchée, protectrice et bienfaitrice.
L’armoire, c’est les courses folles dans les alpages à nippes
jusqu’au tiroir du bas.)
Enfermé dans l’armoire,
J’inaugure un lieu sans péril.
Assis sur mes talons, je suis en vacances.
Boussole perdue, dans l’armoire à deux portes et miroirs.
Dans l’aurore, le linge chuchote :
« Va, poisson d’eau rouge deviens noir. »
Dans le fond, les planches ont la notion du vert, de l’air
et le soleil est un clou qui est le soleil.
Penser à la lueur d’espoir invisible dans l’ombre du doute.
Écouter le noir.
Dans le noir jusqu’au blanc : voix, voix d’hommes.
J’entends clairement des voix.
Voix de serrurier, de policier, de médecin, d’infirmier, d’ambulancier.
Je les vois.
Le problème, c’est ce que je vois quand il n’y a rien à voir, pas les voix.
Tous parlent. Résonnent ensemble. Ils ont raison.
Je suis fou. Il faut m’enfermer. Il n’y a rien à opposer.
Je dois être enfermé.
Mais je est où ?
Ou donc suis je?
Dans l’armoire fermée, je me demande, je ne m’y attends pas.
Ils fouillent la maison.
Je m’en remets à moi.
Ils ouvrent les deux portes à miroir de l’armoire.
Ils m’en remettent au jour.
Me considèrent d’une certaine façon.
Je suis alors déplacé, complètement déplacé.
Je suis déplacé à un point tel qu’ils m’oublient et parlent à l’armoire,
à l’armoire à deux portes et miroirs.
Je regarde. Je réfléchis froidement. Moi.
Les infirmiers m’entravent, baissent mon pantalon,
me déchirent d’une piqûre pour que mes jambes puissent marcher
sans empêcher le départ.
Je fais un grand écart pour les impressionner.
Je me regarde dans le tain du miroir de l’armoire qui me le renvoie bien.
On est du même bois, l’armoire et moi.
Je suis là, je vis, je vois.
Je réfléchis ce que je suis.
Je suis.
Deux des hommes prennent le droit sur moi et me transportent.
Deux hommes et une armoire sortent de la maison, donc.
M’ont-ils vu égorger le coq ?
Laver mes cheveux dans l’eau souillée de l’égout ?
Avancer genoux raides ?
Ou encore lécher mon ombre par terre ?
Au fragment du miroir, je suis, tête brèche mais sans fêlure, c’est sûr.
L’ambulance devant la maison est prisonnière de la géologie fanée de la rue.
Puis le paysage se décale, se disloque, s’écartèle.
Mais je ne me démonte pas.
Je suis une armoire rare, une armoire très impériale, très troublante.
On va me trouver un lit et je me coucherai à côté.
Comme ça, le lit et l’armoire-moi on fera une vraie chambre matrimoniale
si le lit aussi est double.
Puis quand je m’entendrai à nouveau bien,
que je serai silencieux complètement, je sortirai de l’hôpital.
Il faudra trouver un transporteur, une camionnette au moins
pour me déménager.
Entre l’armoire et moi, la limite est labile.
Mais ça on verra.
Plus tard.
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De feu à feu
(De) La Loutre
(À) Laurence
(Pour) Daniel
La vie est une musique, mais je n’ai rien entendu.
Je vais mourir.
Te dire je vais mourir et je suis contente.
Tellement contente.
Non mon Loulou, ne sois pas triste.
Je n’en puis plus c’est tout.
Je n’ai pas peur, toi tu es mort déjà.
Tu l’avais dit, on finirait par se retrouver.
Alors laisse faire mes ongles sur ta peau
Ongle
Tout petit
Dans un
Tout petit
Doigt qui
Caresse le calendrier
Des mois
Posé sur mon
Ventre je compte
Mes doigts
Cinq mois que tu es mort
Dis toi
Sans amour de moi
Sans amour peux-tu ?
Non
Pas moi.
La vie est en désordre.
J’ai beau tracer, le but m’a trouvée.
Je dois passer du corps à l’âme.
Je suis hâtée.
Je suis hâtée.
Quand on est mort après c’est pour la vie.
La vie à embrasser.
Et cet enfant que tu m’as fait.
Pas le premier mais le second que tu fis.
Te souviens-tu, oh mon Loulou, avant ton fils,
d’une petite fille un jour surgie ?
Jamais revue.
Par le fou que tu es devenu, tes enfants non reconnus.
Maintenant je vais dormir.
La mort est à venir.
Charpente du ciel
Clouée d’étoiles
Ancrées dans les yeux
Limite perdue
De la tête
Vivre
Le temps immobile
Dans le pré sacré
Ne rien dire
Grigner ou sourire
Rêve entamé
D’on ne sait
Ou va la mer
Surtout ne pas être folle
Garder intacte
Cette possibilité de le redevenir.
Lâcher prise, ne plus tenir la barre.
Essayer le mouvement inversé.
Faire le feu dans les yeux et mourir les erreurs.
Que dis-tu ?
Entre la braise et le hurlement que dis-tu ?
Être une braise qui sans fin se consume, dis-tu ?
Oh mon Loulou, tout à fait mon type.
Tu es toujours aussi ardent.
Quel jour sommes-nous ?
Laurence est morte le 14 janvier 2012
© Loutre-Barbier
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