On ne rentre pas par hasard là-bas.
On doit être accepté par la bête, il faut mériter cette place, l’ultime peut-être qu’on occupera vivant.
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Il faut être vieux surtout, malade aussi, invalide de préférence.
Prévoyant, un peu, on a su économiser pour ses vieux jours, et dans ce sursis que la vie octroie parfois, on peut bénéficier ici de soins, pour soi indispensables, prodigués par une équipe dévolue à son propre corps, à sa propre personne.
La première condition pour avoir une existence n’est-elle pas d’être en vie ?
Alors on s’y atèle.
Et puis de toute façon, on n’a pas le choix, on est en réalité condamné à vie sans preuve.
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Ou plutôt non, pour être dans la bête, il faut être bien vivant d’abord, soignant surtout, bienveillant aussi, formé à appréhender les situations médicales et bâti pour accompagner la détresse.
Il faut être généreux et astucieux pour pallier les imprévus que réservent le corps malmené par la vieillesse et la maladie des personnes en souffrance.
On est au cœur de la tourmente existentielle, on tente d’endiguer le désastre, on accompagne des personnes qui sont sans autre perspective que la fin de soi, dans leur présent et leur quotidien bien réel. On accompagne des personnes. Des personnes, ce n’est pas une seule personne.
On soulage.
On soigne, on aide, on soutient, on ressent.
On parle, on touche, on sent.
On soulage.

Ou alors encore, pour intégrer la bête, il faut avoir à retrouver l’être cher dans son marasme.
Celui qu’on connaissait debout (et qu’on voit toujours debout même si...), et bien il est là-bas.
On peut être avec lui en journée.
On est content qu’il soit là-bas (il ne pourrait être nulle part ailleurs de toute façon...).
On sent qu’il est bien là-bas et en même temps, c’est insupportable de le savoir là parce que s’il est là, c’est qu’il en est là où il en est : c’est-à-dire au bout du rouleau et en lambeaux.
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On ne rentre pas par hasard là-bas.
On passe là-bas si on appartient à la deuxième ou à la troisième catégorie.
On trépasse là-bas si on est de la première.
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Je suis de la troisième catégorie et il y a lui dans la première.
Sans la deuxième catégorie, la première ne serait pas sur terre.
Ceux de la deuxième catégorie pensent que sans la troisième, la première catégorie a peu de chance de tenir encore longtemps.
Mais la troisième comme la deuxième savent au fond que la personne de la première catégorie en dépit de son pitoyable état conduit dans sa solitude son propre véhicule sur l’impasse de la vie.
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© Loutre-Barbier