À l’arrêt dans la touffeur d’une fin d’après-midi de juillet, la voiture blanche cause sous les auspices d’un péage d’autoroute.
Deux grandes filles et un petit garçon, étoiles immatures digèrent à l’arrière leur journée de soleil dans un profond sommeil.
À l’avant, brunes en colchique, deux femmes s’assortissent dans une discussion joyeuse.
Elles rient.
Pendent à leurs âmes l’esprit heureux d’un aujourd’hui de verdure et d’eau douce.
Mais pour la voiture blanche quant à elle à l’arrêt, l’équilibre est précaire.
Sur l’autoroute brûlante, le baromètre devient soudain pessimiste.
À sa gauche, la voilà convoquée violemment à céder le passage que force la voiture noire.
Les tôles crissent l’une contre l’autre.
Alors la voiture blanche vide un accablant soupir. Sans plus.
Dans son rétroviseur, ce n’est pas la longue file de voitures qui se reflète mais les arbustes de la journée et le murmure des nuages abandonnés.
Immobiles à nouveau, les voitures semblent prisonnières de la géologie fanée du péage de l’autoroute, la blanche désormais derrière la noire.
Enfin, branle la file dans un transport hasardeux et la voiture blanche soumet la noire à un choc léger, délicat badinage de la circulation.
Les deux femmes, garantes du rapatriement des parfums restent à l’intérieur de leurs yeux, et cela même quand l’époux du moteur de la voiture noire à n’en pas douter encore mouillé du lait de sa mère syncope l’aurore en suspens dans un concert de jurons pour éparpiller l’affront.
Il se presse aux portes de la voiture blanche et dans une ruade, traverse de tout son corps la fenêtre passager béante pour arracher au tableau de bord la clé de contact. La voiture blanche s’en étouffe.
La femme qui conduit sort et réclame.
Les enfants se réveillent.
Elle s’approche de la voiture noire, perçoit deux gros fauteuils en cuir mais pas la hyène qui surgit de derrière et s’accroche soudain à sa tignasse encore emmêlée des bains et senteurs.
La femelle, Aphrodite véreuse, gardienne des testicules du roi de la route, cogne.
Elle, elle se replie contre la voiture noire, s’en remet aux enfants qu’il faut ramener chez eux.
L’absence de réaction de tous les autres de la file d’attente, de tous les autres de toutes les autres files convoquent au rythme des coups, de sourdes et violentes mélancolies.
L’autre lâche enfin sans raison apparente.
Alors elle, elle prend la relève de son cœur masqué par les heurts, devient le visage de la misanthrope perfection, et dans un mouvement somme toute contrôlé, balance son poing droit dans la face de hyène qui s’effondre sans un cri.
Le mec éructe.
Malgré cela, elle entend le déclic du cran d’arrêt.
Le choc.
La douleur.
Ses yeux sortis maintenant voient la tache de sang sur sa poitrine se dilater plus large que ses propres limites.
Son sang sorti lui aussi la dépasse, la réchauffe, la rassure jusqu’à l’écœurement.
À ce moment précis, elle est assurée : tant qu’elle est en vie, elle n’est pas seule.
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© Loutre-Barbier