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La fille en or a 18 ans.
Elle vit sur un terrain squatté dans une baraque en contreplaqué.
Elle mange des pommes de terre et des gâteaux secs.
Décalotte les pompes à incendie.
Il faut bien qu’elle boive aussi.
Quand elle est née, elle n’avait rien.
Pas de squat en France, ni de maison en Roumanie.
Avec le chien, elle se battait parfois pour le même os.
Maintenant elle a des copines, ici et là-bas.
Cousins et cousines, ici et là-bas.
Témoins de Jehovah, ici et là-bas.
Assistantes sociales, médecins du monde, ici.
Après la manche, elle retourne au terrain qui recycle nos déchets urbains.
Elle met ses trésors sous son lit, c’est un lit de fortune.
Elle dort dans une couverture avec sa sœur.
Dans le lit à côté, il y a son père, sa mère et son frère.
Trois, quatre ou cinq serrés dans le lit.
Peu importe les murs quand les corps se tiennent.
Elle rêve au plus beau des garçons.
Mais au mariage, cette fois encore son père dit non.
Son père dit non : ce garçon n’est pas pour toi ma fille.
Son père dit non.
Mais sa mère pas vraiment.
Dans son cœur, elle a déjà un enfant de plus.

Margina pâlit quand elle veut des couleurs et son prince pour la vie.
Sa tête sait et son cœur n’en fait qu’à sa tête.
Demain aussi c’est certain.
Demain, on verra bien.

Le garçon est passé dans sa vie et il doit y rester.
Pour lui, terre d’exil irlandaise, terre de passage française,
terre d’origine roumaine.
Le garçon veut la fille.
Au père de la fille, il dit encore : « Donne-moi ta fille. »
Avec sur la peau « Margina » à jamais tatoué
et dans son cœur la brûlure vive des sept lettres,
le père boit encore une bière.
Il se noie, il dit oui.
Le masque du garçon a conquis.
Margina ne sait plus.
Elle s’échappe à elle-même.
Demain, il y aura les fiançailles au squat.
L’union des enfants, l’union des familles.
Pas une mascarade.
Juste de la joie et une suprême humanité dans un cadre dévasté.

Demain, on verra bien ce qu’on verra.
Demain, on verra bien.
Demain.
Demain il pleuvra et c’est le temps qu’elle préfère.

Aristocrate de l’asphalte déglingué,
Souveraine de la pluie et du vent, du soleil et des astres.
Fiancée universelle en tulle blanc.
Margina est à portée de la main de son prince.
Dans un cocon défiguré transfiguré.
Métamorphosé.
Par l’effervescence amoureuse.
Par la palette irisée et sans outrages des cent témoins.
Par les visages lumineux pourtant si peu éclairés.
Par le périscope éclatant des canines en or.
En cadeaux, hirondelles de papier, papillons de bonheur
5 euros, 10 euros, 20 euros.
Qui vole mieux ?!
Musique et danse, soupe de nouilles, poule et mameliga.
Les amoureux autorisés cousent leur planète.
Le mot est puisé dans l’œil.
Entre eux un arc-en-ciel d’huile.
Le plafond délabré du temple d’amour est leur ciel.
Ils sont au-dessus maintenant.
Et dans l’effervescence du squat inondé par la pluie, leur halo doré,
et aussi une baraque de la taille du lit : leur lit.
Leur lit, pour la première fois unique.

Demain.
Demain les femmes viendront dans leur nid
pour chercher le drap du bonheur,
le drap honoré du sang de Margina.
Mais ce sera demain.
Pour l’instant on perd l’heure parce que c’est pour l’éternité.

Demain, on verra bien.
Ce demain-là la fille en or le connaît bien.
Demain il y aura l’expulsion du squat.
L’a vécu dix fois déjà.
La fille en or n’a pas peur des serpents ni des vampires,
mais redoute le demain.
Comme elle redoute le Dieu et le jour où il viendra pour parler des problèmes.
Parce qu’alors ce sera le feu, le feu de l’enfer.
Pour elle le demain magique serait le jour des papiers
du RSA pour sa famille,
de la carte vitale,
d’une formation,
et surtout du droit à se loger, à travailler.
Ce demain-là n’est jamais aujourd’hui mais toujours demain.
Pour elle le demain est un vomissement maléfique du temps.
Un demain où il y aura la police sur le squat,
le bois à trouver,
les pommes de terre à éplucher,
les douleurs à soigner,
la fatigue à repousser.
Un demain où il y aura aussi l’incendie.
Il y aura surtout l’incendie,
les flammes du diable qui dévasteront le squat
grilleront la misère et le reste aussi.
Brûlé le drap du bonheur et ravivée le linceul de la mort.
Il n’y aura que la peur, la peur et la peur
et comme unique solution un retour en Roumanie
sans rien emporter d’autre qu’âme qui vive,
et la vie et la mort en épingle à cheveux.

Demain.
Demain.
Demain pour les Roms est un opiacé.
Demain est un pharaon.
Demain est un automate.
Demain est une déferlante.
Demain est un sablier.
Demain est un coryphée.
Demain est une fontaine.
Demain est un quartz.
Demain est un piranha.
Demain est un fard.
Demain est un principe général.
Demain est une vertu béante, une force miaulante.

Demain, c’est les pupilles du vent
quand « aujourd’hui » fracasse des galaxies.

Mais demain Margina sera là.





















© Loutre-Barbier