À bon entendeur
Disons mots
Du malentendu

Le rêve accessible, par ce moyen incompréhensible qu’est l’homme, est la vie.
On y réfléchit, mais on n’arrive pas à y penser.
L’évasion nous habite, notre tête arpente.
Poète des routes aux semelles assoiffées, ou en errance dans la prophétie étoiles, on veut aller deux fois plus loin que nulle part.
Pouvoir revenir de loin.
Pieds au ciel, on regarde passer les saisons en montrant les vertiges.
Les mots s’emmêlent, quittent le sens.
L’enfant fleur lève ses bras vides, le Gadjo cueille une pensée et dérange une étoile, le Rom effeuille une rose de ses lèvres et la mange.

Elle dit...
La pluie invoquée et qui tombe.
La lune en hostie pleine des moutons des Carpates certaines nuits.
Le vent qui fait du n’importe quoi avec ses cheveux traîtreusement noirs.
Le soleil qui brille.
Le feu qui révèle le regard des grottes.
Elle dit...
Ou qu’elle soit, est le ciel.
Tout ce qui vient du ciel est bon même le Dieu qui est l’ordre naturel des choses, qui est incontestable et à qui elle doit cette histoire qu’est sa vie et qui lui fait toujours plaisir.

À bon entendeur
Disons mots
Du malentendu

Le souvenir préexiste à l’existence,
ça pire en pire.
Cristallisé, le malentendu cible sans restriction la constellation Rom.
Pour les Roms, besoin de rien d’autre qu’une couverture tragique :
l’amour les chauffe, les éclaire, les nourrit, les défonce
et si leurs mains sont froides, en les plongeant dans une fourmilière,
ils les gantent de noir.
Eux sont comme des cerfs, avec les bois plus hauts que la tête.
Là-bas en Roumanie, leur baraque est dans un champ électrique
au cœur d’une forêt de pylônes et les corbeaux volent ventre à ciel
pour ne pas voir la misère.
Il faut toujours une baraque, car sans adresse, on ne peut pas s’adresser.

Elle dit...
Que quittant Talpoch en Roumanie, dans le rétroviseur,
ne se reflétaient pas la file de voitures derrière,
mais les arbustes de la journée et le murmure des nuages abandonnés.
Elle dit...
Qu’ils étaient 12 dans la voiture.
Qu’ils arrivent enfin au croisement des migrants, à la Guillotière.
Ils attendent que la nuit tombe pour trouver un abri et se reposer du voyage.
Elle est avec son père, sa mère, sa petite sœur et son petit frère.
Il fait froid et il pleut.
Demain, ils trouveront un camp et construiront une baraque.
Elle fera la manche.

À bon entendeur
Disons mots
Du malentendu

Au cœur de la baraque, dans le tuyau du brasero, prie un saint.
Les Roms ont peur de faire peur et se cachent pour ne pas disparaître.
Comme des chiens enragés, ils reçoivent parfois des pierres.
Rom signifie homme.
Contre le mauvais œil, chacun a un tatouage souverain.
Leur corps est trempé comme l’acier et l’amour cimente la famille.
Les enfants sont des princes et quand chez les Gadji, on dit du vieux
qu’il retombe en enfance, chez les Roms, cet enfant édenté qui fume au soleil, c’est le grand-père, le phuro.

Elle dit...
Qu’elle se lève à 6 heures pour faire la manche chaque matin.
Elle quitte le camp avant même la visite de la police...
Elle dit avoir été déjà prévenue que bientôt les pelleteuses
détruiront les baraques, qu’il faudra donc recommencer.
Elle dit que s’ils avaient les mêmes droits que tout le monde,
ils s’en sortiraient sûrement comme tout le monde.
Elle dit...
Qu’eux sont un peu comme les feuilles des arbres qui sèchent faute d’eau
et puis tombent.

À bon entendeur
Disons maux
Et que soit... le mal entendu

Les Roms mendiants laissés derrière nous sont comme des ratures
qui ne disparaissent pas comme ça.
Les regarder, c’est voir enfin qu’ils sont à côté de nous quand les mots manquent.
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© Loutre-Barbier